Fâché noir contre les jeux de société

1. Qui a dit : «Ne mange jamais plus que ce que tu peux soulever»?

2. Sous quel nom Barbara Millicent Roberts s’est elle fait connaître?

3. Quel était le score final de la première partie des Phillies de Philadelphie, jouée le 1er mai 1883?

Je trouvais ça louche que tu m’invites à ton chalet. Après tout, on se connaît pas tant que ça. Je me disais que j’allais sans doute me retrouver devant une pile de bois à couper ou une terrasse à vernir, mais bon. Je t’ai fait confiance. J’ai rempli la glacière, retrouvé mon chasse-moustique périmé et ressorti mes vieux bermudas froissés au fond d’un tiroir.

J’étais plutôt détendu dans la voiture pendant le trajet. C’est en entrant dans le chalet que j’ai compris que tu ne m’avais pas invité pour me laisser me reposer à l’ombre, avec le troisième tome de «50 shades of Grey» et un verre de Chablis bien frais. J’ai vu l’étagère remplie de jeux de société. Je me suis souvenu trop tard que t’aimais ça. Quand on veut voir toute la détresse et la misère qu’un être humain peut contenir, c’est simple: on n’a qu’à me demander si je veux jouer à un jeu de société en me regardant dans les yeux. On peut alors voir mon âme sortir de mon corps et se rouler par terre avec de l’écume aux lèvres.

C’est que, génétiquement parlant, je n’ai pas été conçu pour les jeux.

D’abord, je ne me souviens jamais des règlements. Il arrive même que j’oublie le jeu au complet. On me demande si je veux faire une partie de backgammon et je ne réponds rien, occupé à tenter de me souvenir de ce que c’est. Une technique de massage? Une pratique sexuelle déviante? Un sport de glisse? Une fois qu’on m’explique ce que c’est, je dis non, merci, tiens, prends plutôt ces pinces rouillées et arrache-moi les dents, je préférerais ça.

De toute façon, on se lasse très vite de jouer avec moi. On me crie les règlements d’une voix agressive en cherchant une lueur de compréhension dans mon regard mais, quand je sors de mon jardin intérieur pour interagir, c’est pour poser des questions existentielles.

«Former des mots à partir d’un tas de lettres? Mais pourquoi faire? Conquérir le monde? Mais dans quel but? Si je gagne la partie, qu’est-ce que je gagne exactement? Qu’est-ce que ça change que le colonel Mustard se soit fait tuer avec un chandelier ou une barre à clous? Cette vaine enquête ne va ni le ramener à la vie ni écourter les souffrances de sa famille.»

Je distingue clairement dans le regard de mes instructeurs une envie de me molester. Et si quelqu’un finit par jouer avec moi, il est inévitablement déçu: je suis le joueur le moins compétitif au monde. Il me manque aussi ce bout d’ADN. L’autre gagne sans effort et sans gloire, concentré que je suis aux tâches connexes telles que remplir le bol de chips ou faire reluire les pions en les astiquant avec un coin de ma chemise. Et, parfois, je triche. Pas pour gagner mais pour perdre plus vite, qu’on en finisse et que je puisse retourner lire.

Mais si tu tiens absolument à jouer, on va jouer, hein. Surveille moi, tout de même; ça se pourrait que j’essaie de me tuer en avalant tous les pions.


Les réponses : 1. Miss Piggy 2. Barbie 3. Les Phillies ont gagné 4 à 3 contre les Grays de Providence. Ça vous intéresse vraiment, les questions «sport» de Trivial Pursuit ?