Fâché noir contre les écrivains français

Il y a quelques années, une fille est venue me voir à la fin d’un atelier littéraire que j’animais dans un cégep. Elle m’a fait ce commentaire : « Je suis surprise, j’ai toujours cru qu’un écrivain c’était un vieux dépressif magané avec un air bête, portant un veston brun qui pue la cigarette ». Je lui avais répondu que, de toute évidence, elle confondait les auteurs québécois et les auteurs français.

Et la fille avait un peu raison. Les écrivains français, on les reconnaît rien qu’à l’air bête qu’ils font sur les photos. Écrire semble être un lourd fardeau, une peine de tous les instants, ahlala, quelle torture de devoir faire son propre horaire, de se lever à l’heure qui lui plaît, de se faire inviter à dîner par son éditeur et de picoler dans les cinq à sept en attendant l’inspiration. Tout cela est d’une souffrance telle qu’il est facile de comprendre qu’au moment où le grand écrivain français prend la pose pour la photo de son nouveau livre, on croirait qu’un ulcère vient tout juste de lui éclater dans l’estomac. (Notez que j’emploie « écrivain » au masculin pour alléger le texte. Les écrivaines ont elles aussi le caquet bas.)

Mais il ne faudrait pas croire que « je souffre » est la seule expression faciale dont ils sont capables. Ils en ont une deuxième, « je boude », et l’utilisent chaque fois qu’ils apprennent qu’ils ne sont pas en lice pour un prix littéraire, ou qu’ils l’étaient mais ne l’ont pas gagné. Bon. Avec 646 romans qui sortent en France pour la rentrée, dont 426 livres de langue française, on les comprend de bouder un peu. Gagner un prix ou sourire sont les seules façons de se démarquer dans la cohue, et on sait que la deuxième option est hors de leur portée. Les couvertures de leurs livres sont drabes, beiges ou blanches, sans illustrations, et les synopsis qu’on trouve à l’arrière ne viennent pas mettre du soleil dans tout ça. Au programme : de la tragédie, du drame, de la mort, des mourants, des choses mortes, des amours mortes, du trépas. Introspection, apitoiement, narcissisme et pleurnichage. Le résumé typique du roman d’un écrivain français : « Un écrivain parisien, confiné à son lit d’hôpital après une grave maladie, quitte sa femme et se remémore son premier amour qu’il n’a jamais pu oublier. Professeur de littérature, ses aventures avec de jeunes étudiantes le ramèneront lentement à la vie. » Et celui de l’écrivaine française : « Dans cette déconstruction du Nouveau Roman, la narratrice – un faux/vrai double de l’auteure –, raconte sa lente descente vers la folie après la mort de son fils en bas âge. Deuil, mutilation, dégoût de l’humanité en général et de l’homme en particulier, l’auteure signe un roman d’une puissance rare. Évènement. » Si tu cherches de la verve, de l’humour et de la finesse, tu la trouveras surtout dans les articles des critiques littéraires qui se font un devoir et une joie de démolir tous ces livres.

Ami lecteur, fais-moi confiance : pour la rentrée, lance-toi dans l’achat compulsif de romans québécois. Tu ne seras pas déçu. D’année en année, la qualité et la diversité de la production ne cessent d’augmenter. Ne te laisse surtout pas décourager par les visages souriants de leurs auteurs.