Fâché Noir contre vivre dangereusement

«Mieux vaut vivre un jour comme un lion que cent ans comme un mouton.»
 - Proverbe idiot



Il arrive un moment dans la vie où on se dit qu’au fond, si on est encore vivant en se réveillant ce matin-là, c’est grâce à une succession de hasards, de coups de chance et de catastrophes évitées. C’est alors que, pour espérer avoir encore assez de souffle pour éteindre cent bougies sur notre futur gâteau d’anniversaire, on tente de prévoir le pire pour mieux garder le contrôle sur les choses. On modère les risques.

Pour ma part, je suis du genre «chat d’intérieur». Je suis sage au point que les avertissements au début des films sur DVD ont frappé mon imaginaire et je souhaite à tout prix éviter les cinq ans de prison ou l’amende de 500 000$ dollars parce que j’aurais acheté une copie piratée. Je conserve même le timbre de la régie du cinéma quand j’en achète un, au cas où une escouade spéciale du FBI section «enquête sur les DVD piratés» débarquerait chez moi en pleine nuit en défonçant les portes pour me demander si tous mes films ont été achetés légalement.

Il y a quelques centaines d’années à peine, vivre était, par définition, très dangereux. Pillages, invasions, révolutions, chaque journée amenait sa promesse de mort violente. En 1901, au Québec, l’espérance de vie d’une femme était de 50 ans et celle d’un homme, 47 ans. C’est Wikipedia qui le dit: de 1900 à 2000, l’espérance de vie en France est passée de 48 à 79 ans. C’est plutôt phénoménal, quand on y pense, et ça explique pourquoi nous sommes sans doute moins héroïques que nos ancêtres: se jeter dans une bataille avec une épée rouillée ou un gourdin, quand de toute façon tu risques de mourir du scorbut ou de la lèpre quelques mois plus tard, ça donne l’impression que t’as pas grand-chose à perdre. Aussi bien mourir en héros, tranché en deux d’un solide coup d’épée. Mais, en 2010, aller se battre en Irak à 20 ans contre on ne sait pas trop qui pour on ne sait pas trop quoi, c’est prendre le risque de sauter sur une mine alors que vous avez encore une bonne soixantaine d’années devant vous. C’est moins tentant.

Mais la plupart des adultes nord-américains ne se blessent pas dans une guerre ni même dans la pratique d’un sport extrême, mais plutôt le jour où ils lâchent un peu trop leur fou dans une épluchette de blé d'Inde. Une petite danse impromptue sur une table fragile, une tentative de salto arrière de la trampoline jusque dans la piscine hors terre et hop, cric crac, jambe cassée, fête gâchée, hôpital, honte, pèlerinage à Compostelle remis à l’année suivante et rhumatisme dans le genou jusqu’à la fin de vos jours.

Maintenant vous le savez: c’est uniquement parce que j’évite de vivre dangereusement que je refuse vos invitations à vos épluchettes de blé d'Inde.