Fâché Noir contre le métro

C’était il y a longtemps. Je travaillais dans un commerce de la Place des Arts. Une Française d’une cinquantaine d’années, le genre qui n’a pas souri depuis sa première communion, m’a posé une question de sa voix haut perchée.

- Pardonnez-moi, jeune homme, savez-vous où est l’entrée de la ville souterraine?

J’ai expliqué à la dame que ses livres de voyage exagéraient un peu. Cette «ville» n’était rien de plus que quelques centres commerciaux reliés entre eux par le métro. Elle n’était pas satisfaite. Je l’avais contrariée.

- Non, non, la ville souterraine! Vous savez, là où les gens vivent l’hiver!

Imagination aidant, elle croyait que les Montréalais se réfugient dans le métro à l’arrivée des grands froids pour faire place aux pingouins, aux caribous des neiges et aux écureuils polaires. J’ai haussé les épaules en la priant d’excuser mon ignorance. J’ai trouvé ça dommage de la regarder partir en m’injuriant. Si ça m’arrivait aujourd’hui, je quitterais mon poste sans hésiter et je lui offrirais une visite guidée de notre ville souterraine:

Bonjour, touriste! Je serai ton guide pour la journée! Laisse-moi te faire découvrir ce métro enchanteur  Bravo, je vois que tu as réussi à franchir les lourdes portes, là où la ventilation excessive les empêchent de s’ouvrir à moins de s’y mettre à trois personnes et de pousser de toutes ses forces ! Ne t’inquiète pas: à l’intérieur, de la ventilation, il n’y en a pas. L’air chaud y est emprisonné depuis l’Expo 67. C’est l’haleine des usagers qui réchauffe les stations!

Ne te laisse pas tromper par le béton gris qui lui donne une ambiance «Berlin avant la chute du mur»; le métro est moderne! Il existe même une application pour les téléphones qui t’informe des ralentissements de service via l’Internet! Il n’y a pas d’Internet dans le métro, mais bon. C’est un détail!

Ah, et ne cherche pas de poubelle sur les quais, il n’y en a plus. Les poubelles, ça faisait malpropre. Si tu veux jeter tes papiers gras ou mettre ta bouteille vide au recyclage, il te faudra remonter les trois escaliers, perdre dix minutes et manquer deux métros. Fais comme tout le monde: abandonne discrètement tes machins par terre, sous un banc, et ça finira bien par se retrouver sur les rails. Hop!

Et voilà le métro qui arrive! Entre, entre! Remarque que tous les wagons possèdent des sièges pour personnes à mobilités réduites: les femmes enceintes, les handicapés, les personnes âgées et les morons qui ne savent pas vivre et qui font semblant de ne pas remarquer les femmes enceintes, les handicapés et les personnes âgées.

Le métro commence à rouler, tiens-toi bien! Le chauffeur adore se servir du frein! Si tu es vacciné contre tous les types d’hépatite, accroche-toi aux poteaux. Sinon c’est à tes risques, parce qu’il y a deux choses qu’on ne voit jamais dans la vie: des bébés pigeons et des laveurs de poteaux de métro. Le mieux c’est de s’asseoir par terre, comme les étudiants en arts de l’UQAM. Et laisse-toi bercer par la douce voix de la madame informatisée.

«Attention, le service est interrompu sur la ligne verte, entre les stations Saint-Laurent et De l’Église.»

Ça risque d’être long! Tu n’es pas pressé de sortir d’ici, j’espère? De toute façon, la ville est envahie par les ours blancs.