Pourquoi mon fils doit-il apprendre à écrire en lettres attachées ?

Nous sommes au début du mois d’octobre. Je regarde mon fils penché sur son cahier d’exercices : il attache consciencieusement ses lettres en se référant à son petit manuel d’écriture cursive posé à ses côtés. Il lève les yeux vers moi. Soupire. Est-ce que je perçois un petit découragement ?

Je le félicite en souriant; intérieurement, je bous. Mon garçon de 7 ans, en deuxième année du primaire, vient de finir de maîtriser l’écriture en lettres scriptes. Il commence à porter plus d’attention à sa calligraphie, l’orthographe des mots, la syntaxe, les signes de ponctuation et à toutes les difficultés/subtilités de la langue française. Il travaille fort. Et hop ! L’école à peine recommencée qu’on lui fait un croc-en-jambe : il doit passer du script (lettres détachées ou d’imprimerie) au cursif (lettres attachées).

Pourquoi ? Il n’y a aucune consigne particulière du ministère de l’Éducation du Québec : « Le choix relève de l’approche privilégiée par l’enseignant ou par l’école », me confirme Esther Chouinard, responsable des relations avec la presse au ministère. Alors, est-ce par tradition ? « Oui, un peu, dit Geneviève Carpentier de l’Association québécoise des enseignantes et des enseignants du primaire. Les enseignants ont toujours fait ça ainsi : les élèves apprennent à lire et écrire en première année et apprennent à écrire en lettres attachées en deuxième. »

Pourtant, les études démontrent que la double approche nuit au cheminement scolaire : l’enfant est freiné dans son apprentissage parce qu’il doit intégrer une nouvelle méthode. C’est ce que m’explique Isabelle Montésinos-Gelet, professeur à la faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Montréal et co-auteure d’une recherche sur le sujet publiée en 2012. « L’élève ne peut mettre ses énergies ailleurs car il n’a pas encore automatisé le geste », dit-elle.

Pendant son étude, la chercheuse a étudié cinquante-quatre classes de deuxième année. Elle et ses collègues ont découvert que le pire scénario, c’est le double enseignement. « Les élèves qui utilisaient la cursive uniquement depuis la première année étaient les seuls à progresser dans d’autres domaines du français, comme la syntaxe », souligne-t-elle. La fluidité du geste et la gestion de l’espacement (entre les lettres puis entre les mots) sont aussi compliqués par cette façon de faire. La meilleure procédure serait d’enseigner uniquement l’écriture cursive. « C’est ce qui semble le plus profitable », avoue Mme Montésinos-Gelet. Pour ce qui est du clavier, son utilisation peut être introduite au cours du primaire mais pas nécessairement au premier cycle.

Si les études le disent, pourquoi ne pas changer la méthode ? « Il y a un manque d’informations auprès des enseignants, souligne Mme Carpentier. Et un manque de formation également. On ne se pose pas assez de questions. » Une enseignante de deuxième année me confie que le comité pédagogique de son école est en discussion : « Nous songeons, dès l’an prochain, faire commencer les élèves dès la première année puisque certaines études démontrent qu’il est plus facile de montrer les deux types d’écritures dès le début du cheminement scolaire ».

Ailleurs dans le monde, les choses se font différemment. La Finlande vient d’abandonner l’écriture cursive pour se concentrer sur le script et le clavier et une quarantaine d’états des États-Unis ont lâché le cursif l’an passé. En France et dans les pays anglo-saxon, on privilégie l’écriture cursive alors qu’en Australie, c’est l’inverse.

Pendant ce temps, Fiston s’accroche à son devoir. Je vois la persévérance, la concentration et l’énergie que ça lui demande. Je l’aide à ranger ses cahiers en me demandant si, plus tard, il écrira en lettres attachées. J’en doute. Connaissez-vous beaucoup d’adultes, vous, qui écrivent en cursif ? Moitié cursif et moitié script, au mieux.

C’est peut-être là le seul héritage du double enseignement.

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