« Mon enfant n’est pas mal élevé, il est autiste »

Fannie a trois enfants. Son aîné, Ludovic, 10 ans, a été diagnostiqué autiste. Son plus jeune, 3 ans ½, a des troubles de langage. Sa fille de 6 ans n’est pas facile : ses écarts de comportement lui ont fait penser qu’elle était elle aussi atteinte d’autisme mais elle n’a pas été diagnostiquée.

Fannie et son conjoint gèrent la situation particulière de leurs trois enfants comme ils le peuvent. Du mieux qu’ils le peuvent. À grands coups d’amour. De soins. De démarches. De rencontres. Leur quotidien ? Des colères terribles de l’un ou de l’autre. Des enfants de mauvaises humeurs ou qui pleurent. Qui s’expriment mal ou difficilement. Qui refusent de socialiser ou d’interagir. Qui font de drôles de choses pour le commun des mortels.

Bref, le quotidien de Fannie et son amoureux sont l’exception des parents avec de jeunes enfants.
Mais quand je demande à cette mère de famille de 32 ans ce qu’elle trouve le plus dur, elle ne me parle pas de la lourdeur de ses journées ou de la fatigue accumulée. Elle me parle… des autres. « Ce qui est le plus difficile, c’est le regard des gens, me confie-t-elle au téléphone. Leur regard sur nous, tout le temps, partout. On a beau être rigoureux, être aimants, on sent le mépris des autres quand on sort avec nos enfants. On se sent jugés. » Stéphanie Deslauriers, psycho-éducatrice et auteure du livre Laisse-moi t’expliquer l’autisme, qui vient de paraître, confirme : « Le pire, pour les parents d’enfants autistes, c’est ce sentiment de perte de contrôle, explique-t-elle. Une fois le diagnostic reçu, le parent comprend que son enfant sera ainsi toute sa vie. Je me souviens d’une amie qui venait d’apprendre que son fils était autiste et qui m’a dit : Fuck, je ne peux plus mourir ! Qui va s’en occuper ? »

Le poids des responsabilités pour ces parents est (déjà) immense; inutile d’ajouter la pression de la société… De là l’importance de la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme (qui a lieu aujourd’hui, 2 avril) et dont le thème est « Soyons ouverts d’esprit ».



Un enfant sur 100 est autiste. Laurent Mottron, psychiatre et titulaire de la chaire de recherche en neurosciences cognitives fondamentales et appliquées du spectre autistique de l'Université de Montréal, précise : « C’est 1% de la population qui est touchée avec une variation de plus ou moins 0,5% ». C’est souvent vers l’âge de 18 mois ou 2 ans que la famille élargie ou les éducateurs en CPE remarquent chez l’enfant « quelque chose de bizarre », explique M. Mottron. « Ce sont d’excellents détecteurs », dit-il.

L’expert rappelle que ce qui distingue les enfants autistes, c’est la cassure dans le comportement, vers le milieu de la deuxième année. « Il se met à perdre ses initiatives sociales et il ne répond plus à ces initiatives, précise le Dr Mottron. En gros, disons qu’il ne va plus rien demander à personne ou alors, il pleure et il crie tout le temps. Il ne comprend rien à ce qu’on lui demande. Au niveau de la communication, il y a un arrêt dans la courbe de croissance. Il peut aussi régresser. Il joue seul, sans but commun avec un autre enfant. » Fannie se souvient que c’est la première chose qu’elle a remarqué chez Ludovic : « Il était dans sa bulle, il était rigide dans sa routine et il avait de la misère à s’adapter aux transitions dans la journée », dit-elle.

Vivre avec un enfant autiste est évidemment extrêmement éprouvant pour les parents. « Oui, c’est difficile, faut pas que tu tombes… » avoue Fannie, tellement à bout de souffle ces temps-ci qu’elle vient de demander un arrêt de travail. La situation est loin d’être rose pour les frères et sœurs. Il s’agit là du sujet exploré par Stéphanie Deslauriers. « Ils peuvent se sentir mis de côté ou encore, ils vivent de la rivalité ou de la jalousie, dit-elle. J’ai aussi croisé des enfants beaucoup trop matures pour leur âge. Par exemple, un enfant de 8 ans qui se préoccupe de l’avenir de son frère autiste et qui jure qu’il va s’en occuper toute sa vie… »



Laurent Mottron souhaite apporter une nuance : « L’autisme n’est pas une condition tragique, déclare-t-il. Ce n’est pas une raison pour l’enfant d’être spécialement triste puisqu’il n’a pas perdu quelque chose qu’il avait avant… » Le professeur souligne qu’il est possible d’être heureux et utile pour l’humanité, même si on est atteint du trouble du spectre autistique. « La souffrance des parents n’est pas celle des enfants, dit-il. D’ailleurs, l’enfant n’y est pour rien – il n’y est pour rien non plus si les parents s’attendaient à autre chose ! »

Fannie, elle, ne chercher pas à changer son enfant  mais bien à l’aider. Et pour cela, au-delà des efforts et des moyens financiers, elle doit avoir accès à des services. « Ce dont on a besoin, ce sont des vrais services pour les enfants, relève-t-elle. À Montréal, je crois que la population est mieux desservie mais dès qu’on sort des centres, c’est l’enfer. » Cette résidante de la région de Valleyfield affirme ne pas avoir eu (encore) accès à un orthophoniste ni à un ergothérapeute pour son petit Ludovic. « J’aimerais que les parents d’enfants autistes soient mieux outillés avant que ça aille vraiment mal, dit-elle, dans le but de mieux accompagner l’enfant dans son cheminement. Est-ce trop demander ? »