Ma fille n’est pas une mini miss

Viens, ma chérie, on va se maquiller. Maman va te mettre du gloss sur les lèvres, des faux cils, du vernis à ongles aux mains et aux pieds. Viens, ma fille, maman va te coiffer, ajouter des rallonges, des paillettes et un nuage de fixatif. Allez, mets ton bikini. Souris ! Surtout, ma chérie, n’oublie pas de sourire. Te souviens-tu de tes poses ? Tiens-toi droite (et rentre ta bédaine, Seigneur !).

Je ne peux imaginer pareille scène, entre ma fille de 4 ans et moi. Jamais, sous mon toit, je ne ferais subir ce genre de transformation extrême (et ridicule) à Petite Lionne. Je peux encore moins penser à mettre en scène ma propre fille : la pousser pour qu’elle déambule sur une scène, avec des pairs accoutrés comme elle, dans le but de se faire juger.

C’est horrible. Abominable. Atroce. Impensable. Du moins, pour moi. Des milliers de parents américains semblent penser l’inverse, si on se fie à la popularité des concours de beauté pour enfants (en anglais : child beauty pageant). Le célèbre concours Little Miss America (et tous ses dérivés : Miss Nevada, Miss Texas, Miss Florida, etc) a vu le jour dans les années 1960. De nos jours, les émissions telles Toddlers & Tiaras et Honey Boo Boo connaissent de beaux succès télévisuels depuis quelques années.

Et voilà que ce genre de concours débarque au Québec : au début du mois de septembre, la directrice de Miss All Canadian Pageants, Joanne Margaret, a révélé que le tout premier gala se tiendrait à Laval le 24 novembre. À noter que la fille de Mme Margaret, Tammy-Jo, participe à ce genre de concours depuis qu’elle a six mois.

Vous avez bien lu : six mois. Vous aimeriez inscrire votre bébé de quatre mois ? Pas de problème. Sur le site de l’organisation, on annonce les catégories d’âge : 0 à 11 mois pour les filles puis 12 à 23 mois. Pour les garçons ? Une seule catégorie pour bébé soit celle des 0 à 23 mois.

En France, il y a une semaine, le Sénat a adopté une mesure visant à interdire la tenue de pareil concours pour les moins de 16 ans, sous peine d’une amende de 40 000$ CAN ou deux ans de prison. Les Américains ont pris cette nouvelle comme un « affront » à leur culture populaire.

Depuis l’annonce de la venue imminente du concours pour enfants, les parents québécois font une levée de bouclier. Une pétition, Mini-Miss au Québec : non merci, dont les instigateurs sont la féministe Léa Clermont-Dion, le médecin Alain Vadeboncœur et l’économiste Ianik Marcil, a été mise en ligne il y a 24 heures. Près de 13 300 personnes, dont plusieurs vedettes québécoises (Véronique Cloutier, Guy A. Lepage et Guylaine Tremblay entre autres), l’ont signée.

Je n’ai pas hésité longtemps avant d’apposer ma signature. Je considère que ce genre de concours est de l’exploitation : un si jeune enfant a-t-il vraiment son mot à dire ? Quant à l’argument du concours de « personnalité pour renforcer l’estime de soi », je le trouve minable. Hypocrite, même. Le tout-petit d’un an n’a certainement pas besoin de se faire costumer et de défiler sous les projecteurs pour gagner de la confiance en lui. Ce qu’il veut et ce dont il a besoin, c’est le regard attendri de ses parents, leurs bras et leur amour. Pas les applaudissements d’une foule et les médailles remises par des juges.

En fait, une récente étude  de l’Université de l’Arizona démontre plutôt l’inverse : les concours de beauté pour enfants affligent psychologiquement les « petites stars » : perte d’estime, anxiété, problèmes de sommeil, stress… Dans sa recherche, la Dre Martina M. Cartwright a également révélé qu’aux États-Unis, les parents dépensent en moyenne entre 3 000 et 5 000$ pour une seule participation. L’industrie des concours de beauté pour enfants totalise 5 milliards de dollars.

À quoi pensent les parents qui inscrivent leurs enfants à un concours de beauté ? Veulent-ils faire fortune ? Souhaitent-ils voir leur enfant proclamé « plus bel enfant au monde » ? Peu importe les raisons, elles ne pèsent pas lourd lorsqu’on songe aux problèmes qui occupent déjà les pensées de nos adolescents (particulièrement les jeunes filles) : au Canada, plus de 40% des adolescentes qui fréquentent l’école secondaire n’aiment pas leur image corporelle et souhaiteraient la modifier et 80% des femmes suivront un régime avant l’âge de 18 ans (selon les propos tenus par Léa Clermont-Dion à l’émission radio C’est pas trop tôt).

Oui, je laisserai ma fille se déguiser en princesse à la maison. Elle aime le rose bonbon et les froufrous. Mais il n’est pas question de valoriser l’hyper sexualisation. Pas question de lui faire chausser des talons hauts. Pas question de laisser des étrangers lui dire si elle est « belle » ou « moins belle ». Et pas question de lui enseigner à faire « des beaux yeux ».

Elle mérite mieux.

Pour signer la pétition

Pour aller plus loin :
Mini-miss, maxi dégâts

De grâce, pas de mini-miss