Obèse, elle photographie à leur insu ceux qui se moquent d'elle

Tous ceux qui sont enrobés, petits, grands, chauves ou ressemblent à quoi que ce soit d'autre qu'une personne à la peau pâle de poids moyen ont à un moment ou à un autre senti le regard dédaigneux des inconnus dans les endroits publics. Si cette conscience, souvent douloureuse, du jugement que portent sur nous les inconnus en se basant sur notre apparence physique s'atténue généralement avec l'âge, les choses sont différentes pour certains.

C'est cette réaction spontanée des inconnus, alors qu'ils ne savent pas qu'ils sont observés, qu'a exploitée la photographe Haley Morris-Cafiero dans sa série, Wait Watchers.

Haley, depuis qu'elle est enfant, a un surplus de poids. Depuis longtemps, les gens se moquent d'elle dans la rue. « J'ai toujours su que les gens faisaient des grimaces, des commentaires et riaient de moi à cause de mon poids. Maintenant, je retourne l'attention vers eux et immortalise leurs réactions. »

C'est en réalisant une série d'auto-portraits à Times Square, New York, en remarquant par hasard qu'un homme derrière elle semblait se moquer de son apparence qu'elle a décidé de réaliser toute une série de photographies où elle capturerait la réaction des inconnus à son corps. Le projet, qui attire beaucoup d'attention médiatique, la met en scène partout à travers le monde dans des endroits publics, où l'on voit ce que les gens font dans son dos.

« Certaines personnes pourraient être très blessées en voyant ces photos ou en entendant les commentaires des gens, explique Haley dans un texte publié chez Salon. Mais pas moi. »

La série photo, très percutante, montre Haley se tenant en public en train de faire différentes choses, comme marcher ou regarder son téléphone cellulaire. Souvent, explique-t-elle, elle choisit de faire des choses qui provoqueraient plus de réactions, comme manger en public ou se pencher pour attacher ses chaussures. Ainsi, ce sont des adolescentes, des enfants, des hommes et femmes de tous âges et même des policiers que l'on voit rigoler, faire des gestes, pointer ou lancer des regards de dégoût en direction de la photographe. Son assistant, à quelques mètres d'eux, capture dans le secret les réactions des passants.

Morris-Cafiero, qui est professeure et directrice du département de photographie au Memphis College of Arts, écrit que son projet l'a aidée à trouver la paix quant à la façon dont les gens la perçoivent. Elle se souvient avoir toujours eu de la difficulté à contrôler son poids, et on lui a éventuellement diagnostiqué une hypothyroïdie. « J'ai traversé des phases où je m'entrainais trop et où je m’empêchais de manger, mais j'ai éventuellement décidé de cesser de me punir pour quelque chose que je ne pouvais pas contrôler. L'auto-critique est une perte de temps. Je suis moins jolie avec des tonnes de maquillage et de produits dans mes cheveux. Je suis heureuse quand je ne suis pas stressée – alors je ne stresse plus. »

« Ça ne signifie pas que le monde soit confortable avec mon apparence, ajoute-t-elle. Même si je suis professeure, que je travaille douze heures par jour et que je mange santé, même si je ne souffre d'aucune des maladies qu'on associe constamment à l'obésité dans les médias, je suis confrontée à plusieurs stéréotypes en tant qu'artiste, en tant que blonde et en tant que femme. Je me bats constamment contre les critiques des étrangers qui assument que je suis paresseuse, idiote, ou une lâche qui mange ses émotions. »

Bien qu'elle dit savoir que certains des sujets de ses photos ne faisaient pas nécessairement de blagues au sujet de son poids, certains réagissant peut-être seulement à la présence de l'appareil photo ou simplement à autre chose, la série expose tout de même une réalité troublante : adultes comme enfants n'ont aucune honte à se moquer publiquement des gens obèses.

« Je soupçonne que si je devais confronter ces gens à l'esprit étroit, mes mots auraient bien peu d'effet. Alors, au lieu d'utiliser les actions de mes agresseurs pour me victimiser, je les utilise (pour créer). La caméra m'a donné une voix. »